"Les personnes qui arrivent avec de nouvelles idées, qu’elles soient ou non neuro-atypiques, représentent une menace pour le statu quo. Et il n’y a rien de mauvais en soi dans le statu quo : s’il existe, c’est parce que les choses fonctionnent à peu près. Et ceux qui le défendent le plus farouchement sont ceux qui en bénéficient.
Donc, si vous arrivez en disant : « Je vais essayer quelque chose de nouveau, sans garantie de succès, et au passage, si on échoue, vous risquez tous de perdre votre emploi », il n’y aura pas beaucoup de volontaires — c’est d’ailleurs pourquoi la plupart des gens ne créent pas d’entreprise. La plupart des gens ne sont pas entrepreneurs, et n’ont pas forcément à l’être, car les probabilités d’échec sont énormes. Même si vous en avez le désir, si vous avez une famille et des enfants, le risque n’en vaut souvent pas la peine, car les chances d’échouer dans les trois premières années avoisinent les 90 %.
Il faut garder cela en tête. Ma règle a toujours été de ne jamais chercher à convaincre ceux qui ne veulent pas être convaincus. Sinon, vous vous retrouvez dans un bras de fer : « J’ai raison, tu as tort. » Et eux diront : « Non, j’ai raison, tu as tort. » Et en réalité, vous avez tous les deux raison — tout dépend du contexte.
Pour moi, ma « religion » concernant les nouvelles idées, c’est la loi de diffusion de l’innovation. Une courbe en cloche. Dans toute population, il y a une distribution normale : des gens très performants, peu performants, et la moyenne — toujours.
Ce qu’Everett Rogers a théorisé dans les années 1950, c’est que les premiers 2,5 % de toute population sont les gens des grandes idées — les innovateurs : Steve Jobs, Richard Branson, etc. Les 12,5 % suivants sont les early adopters (les premiers adeptes). Ce sont des personnes prêtes à investir du temps, de l’argent ou de l'énergie pour quelque chose qui reflète leurs convictions. Elles tolèrent très bien le risque. Elles font la queue 48 heures pour un nouveau Star Wars, alors qu’on peut simplement y aller deux semaines plus tard.
Ensuite vient la majorité, les 68 % — plus cyniques, plus pragmatiques : « Qu’est-ce que j’y gagne ? Vais-je récupérer mon argent ? Est-ce que je vais avoir des problèmes si ça tourne mal ? » Et enfin les retardataires, les 16 % restants — ceux qui ne changent que lorsqu’ils ne peuvent vraiment plus faire autrement.
La loi de diffusion explique que si vous voulez qu’une idée ou un produit soit adopté massivement, vous devez atteindre 15 % à 18 % de pénétration. C’est là qu’apparaît le point de bascule : la majorité précoce n’essaiera quelque chose que si quelqu’un d’autre l’a essayé avant.
Si vous ignorez ça, vous aurez toujours environ 10 % de personnes qui « comprennent » — qui croient ce que vous croyez. « Je l’adore, elle a compris. » « Mon Dieu, quel idiot, il n’a rien compris. » Ces 10 % ne suffisent pas pour faire basculer un système, et c’est là que naît la frustration.
Jeffrey Moore appelle ça “franchir le gouffre” : passer de 10 % à 15–18 %. Ce que j’ai appris, c’est que pour toucher les early adopters, il faut commencer par le WHY (le « pourquoi »). Parlez de ce en quoi vous croyez, pas seulement de ce que vous faites. Parlez de pourquoi vous le faites, pas uniquement du plan. Parlez du rêve.
Plus je le faisais, plus je trouvais d’early adopters — des gens prêts à prendre des risques et à expérimenter. J’ai construit ma marque avec zéro budget marketing, aucune agence de relations publiques, et à l’époque aucun réseau social. Je me suis concentré uniquement sur les early adopters, en commençant par le WHY, en parlant au niveau émotionnel plutôt qu’au niveau factuel.
Au bout d’un moment, le système a basculé.
Si vous voulez provoquer un changement dans votre organisation, arrêtez d’essayer de convaincre les gens.
Un exemple concret : au début, je faisais du conseil. J’avais besoin de chaque dollar. Un jour, un type m’appelle : « On m’a parlé de vous. Convainquez-moi de vous engager. » Même si j’avais besoin du travail, j’avais appris à reconnaître les early adopters — et il n’en était pas un. Alors j’ai répondu : « Ne le faites pas. » Il était choqué. Mais les personnes qui me disaient : « Vous tenez quelque chose — ce n’est pas parfait, mais vous tenez quelque chose », j’ai dit oui à chaque fois, même si elles ne me payaient rien. Parce qu’elles me laissaient expérimenter dans leur entreprise.
Dans les grandes entreprises, c’est pareil. Une société de 100 000 employés m’a demandé de créer un programme de formation pour les millennials. Je leur ai dit que nous allions le faire à ma façon, car les grandes entreprises conçoivent un programme parfait, le lancent, créent des tonnes de PowerPoints, et tout le monde dit non — parce qu’on ne peut pas proposer une nouveauté à la majorité en premier.
Alors nous avons créé de petites barrières et obligé les gens à postuler. 100 places. Ils ont écrit des essais. Ils sont venus à New York à leurs frais — aucun bonus. Personne né avant 1984 n’était autorisé à entrer, donc aucun cadre supérieur ne pouvait venir observer. C’était génial.
À la fin, j’ai dit : « Le programme n’est pas encore construit. Si vous pensez que c’est un travail important, devenez bénévoles pour nous aider à le créer. Pas d’argent, pas d’impact sur votre promotion, faites toujours votre travail normal. » J’ai eu 50 volontaires.
Deux semaines plus tard, mon sponsor m’a appelé furieux : des managers partout dans le pays hurlaient : « Pourquoi mes équipes ne sont pas invitées ? » Je lui ai répondu : « Ça, c’est de la demande. » Nous avions créé de la demande sans marketing, sans relations publiques, sans PowerPoints — et les volontaires allaient construire le programme eux-mêmes.
C’est comme ça qu’on applique la loi de diffusion lorsqu’on apporte de nouvelles idées dans un système résistant au changement."
Simon Sinek